COP21 et taxe sur les transactions financières

Publié le par Laute Alain

(Une interwiew  longue à lire mais intéressante) 
Pascal Canfin: «Il est vital de créer une vraie taxe sur les transactions financières»

27 septembre 2015 | Par Jade Lindgaard (Médiapart ).

L’argent manque toujours pour le climat, à deux mois de l’ouverture de la COP21. Des chefs d’État se réunissent ces jours-ci à New York et pourraient enfin y dévoiler comment ils comptent remplir l’objectif de 100 milliards de dollars par an. Pour Pascal Canfin, la politique monétaire doit servir à l’action contre le dérèglement climatique.

A deux mois de l’ouverture de la conférence sur le climat, la COP21 (du 29 novembre au 11 décembre), le financement de l’action contre le dérèglement climatique reste l’un des sujets les plus conflictuels et les plus sensibles de la négociation. C’est aussi l’un des plus flous. En 2009, lors de la conférence de Copenhague, les États s'étaient fixé un objectif : qu’à partir de 2020, 100 milliards de dollars, de source publique et privée, soient dépensés chaque année pour le climat. Mais à ce jour, aucun dispositif précis, aucune clef de répartition entre États, aucun objectif de moyen terme n’a été établi.

François Hollande s'est engagé à défendre le projet de taxe européenne sur les transactions financières pour, notamment, financer une augmentation de l'aide climat de la France. Analyse des scénarios et des enjeux financiers de la COP21 par Pascal Canfin, ancien ministre du développement et aujourd'hui conseiller du think tank World Resources Institute (WRI).

François Hollande a annoncé « une initiative » de la France en faveur de la taxe sur les transactions financières, pour financer l’action sur le climat. Est-il crédible ?

Pascal Canfin. François Hollande a fait plusieurs fois le lien entre la taxe sur les transactions financières et la COP21. Une partie de l’annonce financière française qui doit arriver, peut-être dans les jours prochains à New York, doit reposer pour être crédible sur de nouvelles recettes. Il y a deux sources pour ces financements : le rapprochement entre l’Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts, pour augmenter notre capacité de prêts ; et la taxe sur les transactions financières.

Il faut que cette taxe soit enfin décidée et que cette décision politique soit prise avant la COP21. C’est vital. C’est très important vis-à-vis des pays du Sud pour qu’ils croient aux promesses de financement. Selon la Commission européenne, la taxe pourrait rapporter 35 milliards d’euros chaque année. Dans le rapport que nous avons rendu au président de la République avec Alain Grandjean sur les financements du climat, nous parlons d’un seuil minimal de 10 milliards d’euros par an. À ce niveau-là, environ 20 % des recettes, soit 2 milliards d’euros, reviendraient à la France.

Mais la France est-elle crédible dans cette annonce alors qu’elle a tout fait pour bloquer la taxe européenne sur les transactions financières, contrairement à l’Allemagne et l’Autriche ?

Au départ des discussions, en 2012, la stratégie française était juste d’avoir au niveau européen ce qu’elle a mis en place au niveau national : une taxe sur les actions. Cette minitaxe n’aurait rapporté au mieux que quelques milliards d’euros au niveau des onze pays européens concernés. En plus, elle n’aurait porté que sur les actions, l’un des produits financiers les moins spéculatifs. Laisser de côté tous les produits dérivés était absurde.

Mais la position de la France a évolué sous la pression de la société civile, et devant la nécessité de trouver des recettes supplémentaires. C’est tout le paradoxe : une taxe européenne a minima ne rapporterait rien de plus à la France. Il y a eu un changement de cap à Bercy. Désormais la France défend une assiette large de la taxe, comprenant les produits dérivés. On a fait un vrai pas dans la bonne direction.

Paris veut aussi répondre à l’Allemagne, qui a déjà annoncé le doublement de son aide climat, à deux milliards d’euros d’ici à 2020…

Deux milliards d’euros, c’est ce que, à nos yeux, le président de la République doit annoncer. Les analyses du World Resources Institute (WRI) montrent qu’il manque à peu près 20 à 25 milliards de dollars d’argent public pour parvenir aux 100 milliards annuels, promis lors du sommet de Copenhague en 2009. Ils se décomposent en deux grandes sources : les banques multilatérales de développement, comme la Banque mondiale, d’un côté, et les États de l’autre. Autour de 15 milliards de dollars doivent venir des États : si l’Allemagne en verse deux milliards, la juste part de la France se trouve entre 1,5 et 2 milliards de plus que ce qu’elle fait déjà pour le climat au sud.

Ces quelques milliards d’argent additionnels sont très en dessous de l’enjeu financier de la redirection de l’économie mondiale vers des activités peu émettrices de gaz à effet de serre. Les États sont prêts à dépenser très peu par rapport aux masses d’argent que pourraient déplacer les acteurs privés de l’économie mondiale.

Il ne faut surtout pas opposer les deux. La promesse des 100 milliards, c’est de la solidarité climatique pour payer une toute petite partie – c’est vrai – de notre dette envers les pays pauvres. La réorientation vers une économie compatible avec les 2 °C, c’est un enjeu global qui concerne tous les pays. 100 milliards, c’était un chiffre politique et symbolique.

L’essentiel de l’effort pour se mettre sur le chemin de la neutralité carbone concerne les infrastructures : l’énergie, les villes, la mobilité. L’investissement annuel dans les infrastructures dans le monde représente 5 000 milliards de dollars. Aujourd’hui, il n’existe aucune évaluation de la part compatible avec le climat de ces 5 000 milliards. Mais la part verte augmente : pour la production d’électricité, plus de la moitié des nouvelles capacités de production installées dans le monde depuis 2013 sont d’origine renouvelable. En Europe, on est à plus de 80 %. Autre bonne nouvelle, la France s’est dotée d’une stratégie de décarbonation dans la loi sur la transition énergétique, les pays du G7 s’y sont aussi engagés en juin. Mais cette stratégie n’a pas de volet financier ! C’est évidemment regrettable.

Dans ces conditions, comment faire pour que l’idée d’une transition vers une économie bas carbone ne soit pas qu’un slogan vide de sens ?

La réalité, c’est qu’aucun gouvernement n’est cohérent au regard de l’enjeu des 2 °C. La Norvège travaille avec les Chinois sur les forages en Arctique. Obama n’autorise pas l’oléoduc Keystone, mais laisse faire les forages en Arctique. En France, le gouvernement soutient la construction d’un nouvel aéroport alors que cela est, on le sait, non compatible avec l’objectif des 2 °C. Or ces choix ont des durées de vie de plusieurs décennies. Une centrale solaire ou charbon dure 40 ans. Revenir en arrière coûte infiniment plus cher que faire les bons choix maintenant. Le paradoxe, c’est qu’on raisonne sur des objectifs qui peuvent paraître extrêmement lointains : 2050/60, la fin du siècle. Mais comme on parle d’équipements qui ont une durée de vie très longue, ce sont les décisions que l’on prend maintenant qui engagent notre capacité à tenir ou pas l’objectif des 2 °C.

C’est un chantier tellement colossal qu’il faut jouer sur tous les leviers : la mobilisation citoyenne, le développement de circuits courts et de réseaux alternatifs, la politique monétaire, la réglementation financière… Il faut une extension du domaine de la lutte climatique. Je me souviens d’une discussion avec Jean-Claude Trichet juste avant qu’il ne quitte la BCE. En petit comité, je lui demande ce qu’il a fait dans sa carrière pour le climat, il m’a regardé, et j’ai vu dans ses yeux qu’il n’avait pas réfléchi une seule seconde au sujet. Aujourd’hui, le gouverneur de la banque d’Angleterre dit qu’au nom de son mandat de banquier central, il ne peut pas faire comme si le risque climatique n’existait pas. Voilà un changement encourageant.

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

La réalité du changement climatique ! L’ouragan Sandy a marqué les esprits à New York parce que les gens de Wall Street se sont retrouvés les pieds dans l’eau. Ce qui était dans les rapports du Giec est devenu la réalité. Une nouvelle convention est en train d’émerger. Par exemple, je ne pensais pas qu’il soit possible d’avoir un accord des ministres des finances du G20 pour donner un mandat au Conseil de stabilité financière, qui regroupe les banques centrales des 20 États, pour évaluer comment les marchés financiers peuvent intégrer les risques climat. Si l’on veut modifier la structure de l’investissement dans l’économie mondiale, on ne pourra le faire qu'avec des politiques publiques pertinentes, et si les milliers de milliards qui sont gérés par les fonds de pension, les banques et les compagnies d’assurance arrêtent d’investir massivement dans les énergies fossiles. C’est toute la problématique du désinvestissement.

Intégrer le risque climatique dans les investissements financiers, ça veut dire quoi ?

Par exemple, mettre en place un système de « stress test » climat des banques, de la même manière qu’on les teste sur leur résistance en cas de crise financière. L’idée serait de tester leur bilan dans un monde où la température augmenterait de 4 °C. Si une route est recouverte par la montée des eaux, quel est le coût pour la banque qui l’a financée ? Si un ménage achète une maison au bord de l’eau pour 150 000 euros, mais qu’elle devient inhabitable et perd toute valeur, que se passe-t-il dans les comptes de la banque ?

En tant que prêteurs à l’économie réelle, les banques ne peuvent pas ne pas être impactées. Or aujourd’hui personne ne mesure cet impact. Cela fait partie des discussions à avoir au sein du Conseil de stabilité financière. C’est un élément fondamental de la COP21 : faire entrer le climat dans les règles du système financier mondial. C’est en train d’arriver, à bas bruit. En 2011, j’étais au parlement européen. On négociait la directive sur les agences de notation. J’étais le seul à déposer des amendements leur demandant de noter le risque climatique des entreprises. Mais aujourd’hui, Standard and Poor’s met en place une méthodologie sur l’exposition au risque climat pour les entreprises. C’est très intéressant. Ils ne sont pourtant pas devenus une entreprise philanthropique. Ce que les politiques ont été incapables de proposer, ils le mettent en place volontairement.

Les annonces de désinvestissement se multiplient : fonds souverain norvégien, famille Rockefeller, Axa, mais seront-elles vraiment mises en œuvre ? Surtout qu’aucun outil de suivi réel et sérieux n’existe.

C’est fondamental que la COP soit le moment où l’on met en place des procédures de suivi des engagements. Il faut un dispositif international. Les engagements volontaires des entreprises doivent, pour être reconnus officiellement, accepter le principe du reporting et de la transparence. Sinon, le risque de greenwashing est énorme. C’est tellement facile d’annoncer quelque chose sous les projecteurs de la COP21 et de ne rien faire derrière… D’où l’importance du décret de l’article 173 de la loi de transition énergétique : la France est le premier pays au monde à s’être doté d’une disposition qui oblige les gestionnaires de notre épargne à rendre public le bilan carbone de leurs investissements, étudier sa compatibilité avec les 2 °C et expliquer comment ils vont faire pour s’en rapprocher. C’est très important. Les Républicains ont saisi le Conseil constitutionnel contre cette disposition, saisine largement pilotée par la Fédération française des assureurs [la loi a finalement été validée dans sa totalité – ndlr]. Un lobby s’y oppose, mais une partie de l’industrie financière y est favorable. Cette bataille est aussi culturelle.

Pourquoi les politiques monétaires sont-elles importantes pour le climat ?

Il y a aujourd’hui des pays où il est admis que la politique monétaire peut servir des objectifs climatiques. Notamment dans les pays émergents. En Chine, le gouvernement a demandé pour le prochain plan quinquennal 2016-2020 à la banque centrale chinoise de faire des propositions concrètes pour verdir le système financier. Pour l’instant, en Europe, il y a un blocage idéologique. La première bataille est idéologique et culturelle. De la même manière que la BCE, pendant des années, a dit ne jamais vouloir faire de « quantitative easing » [assouplir sa politique monétaire – ndlr], et qu’elle a fini par le faire, elle continue de dire qu’il n’est pas de sa responsabilité d’agir contre le dérèglement climatique, alors que la banque d’Angleterre veut agir. Entre banquiers centraux, il y a des différences. En amont de la COP, Greenpeace devrait s’enchaîner aux grilles de la BCE pour montrer qu’il y a une connexion entre les deux ! Techniquement, on sait comment procéder – variation du taux d’intérêt en fonction du contenu du carbone du prêt, entrée de la BCE au capital de la Banque européenne d’investissement pour augmenter ses capacités de prêts verts…

N’est-il pas dommage de lancer cette discussion aussi tard, à deux mois de l’ouverture de la COP21 ?

Nous sommes dans une course contre la montre, oui. L’enjeu n’est pas seulement de prendre les bonnes décisions, mais de les prendre vite. Chaque année qui passe, on accumule du retard. Dans ce contexte, le changement culturel du monde financier n’a commencé qu’il y a un an et il est encore émergent. D’où l’importance de la COP comme moment de fixation et d’accélération. Sans la COP, il n’y aurait pas ce moment politique. C’est décisif, même si les décisions qui concernent les marchés financiers sont prises en dehors de l’accord onusien stricto sensu. C’est le rôle de la COP que d’être un accélérateur des transformations en cours, pour essayer de rattraper le temps perdu par tant d’années d’inaction des responsables politiques.

 

Publié dans Ecologie

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