75 ans, retraité, mort au travail...ou presque

Publié le par Laute Alain

Raymond la victime en 2011.

Raymond la victime en 2011.

Raymond, 75 ans, sans le sou, est-il mort d'avoir repris un travail ?

21 octobre 2015 | Par Michaël Hajdenberg (extraits).

Raymond, malade et bénéficiaire d'une toute petite retraite, a voulu renouer avec le travail. Embauché par Adrexo pour distribuer des prospectus, il n'a pas subi de visite médicale préalable. Il est mort quelques jours après. Mardi, son fils demandait réparation devant les prud'hommes.

Chez Adrexo, il n’y a pas d’âge pour travailler. En août 2011, Raymond D., 75 ans, a tapé à la porte de cette société de distribution d’imprimés publicitaires et de prospectus. Cela faisait plus de dix ans qu’il avait cessé toute activité.

Sa pension de retraite de 480 euros par mois d’intermittent du spectacle ne lui suffisait plus pour vivre. Il accumulait les dettes. Le 8 août, Raymond a commencé à livrer des imprimés. Dix-neuf jours plus tard, on a retrouvé son corps sans vie.

Ce mardi 20 octobre, quatre ans plus tard et à la demande de l’un de ses fils, le conseil des prud’hommes de Bobigny examinait la responsabilité de la société. Celle-ci a-t-elle manqué à son obligation de santé et de sécurité au travail ?

Formellement, le lien est très difficile à établir entre le travail effectué et le décès dû à un accident cardiovasculaire. Même si tout laisse à penser que Raymond est mort le 17 août 2011, au lendemain de sa dernière tournée, le médecin légiste n’a pas pu l’établir de façon certaine. Raymond n’étant pas mort pendant ses heures de labeur, ni sur son lieu d’activité, la caisse d’assurance maladie a écarté l’accident du travail. Le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) réexaminera ce point prochainement.

Son fils Laurent vient devant les prud’hommes pour soulever une autre question. Son père a signé un contrat de distributeur en CDI à temps partiel de 26 heures par mois au centre de Noisy-le-Grand, qui devait lui rapporter 238 euros brut par mois. Sans passer de visite médicale. Or Raymond avait déjà été victime d’un infarctus, il souffrait de problèmes cardiaques, était diabétique, marchait péniblement. À l’évidence, un médecin lui aurait dit qu’une activité de distribution, qui implique de soulever plusieurs centaines de kilos par jour de paperasse, était incompatible avec son état de santé.

En défense de Laurent, Me Alice Goutner soutient que cette visite médicale préalable était une obligation. En temps normal, celle-ci peut se faire jusqu’à la fin de la période d’essai. Mais en 2011, un décret prévoyait que certains salariés devaient bénéficier d’une surveillance médicale renforcée (le décret a depuis été en partie modifié) conduisant à un examen médical avant l’embauche. Parmi eux, figuraient les salariés ayant récemment changé d’activité. Raymond n’avait jamais distribué de prospectus.

Par ailleurs, un travailleur ne peut être admis à porter d’une façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’avoir été reconnu apte par le médecin du travail. Le 16 août 2011, Raymond a effectué deux tournées. La dernière, portant sur des catalogues Ikea, d’une charge de 256 kilos. Pour que les quatre conseillers prud’homaux prennent conscience de ce que cela représente, son fils Laurent a apporté à l’audience des rames de feuilles blanches – de celles qu’on soulève quand on doit remettre du papier dans l’imprimante. Le gros paquet de cinq ramettes de 500 feuilles pèse 12,5 kilos. Le jour de sa mort, son père a charrié vingt-cinq cartons de ce type. « D’où à mon sens, son issue fatale », conclut-il.

Une issue qu’Adrexo a visiblement eu du mal à enregistrer. Bien qu’avertie le 30 août 2011 du décès de Raymond par la police, la société a continué à émettre chaque mois des bulletins de paie à son nom à 0 euro, jusqu’en avril 2012 où elle a établi la fin du contrat pour « absence injustifiée ». Ce qui donne une vague idée de l’attention qu’elle porte à ses salariés.

« Adrexo n'est pas une entreprise voyou qui conduit ses salariés à la mort »

Me Françoise Felissi, qui représente la société Adrexo, semble exaspérée par cet argumentaire. Adrexo préfère se présenter comme une entreprise sociale qui permet aux retraités dans le besoin de compléter leurs revenus. On trouve de tout parmi les 22 000 distributeurs de l’entreprise : des précaires bien sûr, mais aussi, avec la crise économique, des instituteurs, des hospitaliers, des juristes en mal de travail.

Et en effet, beaucoup de retraités, comme le montre la pyramide des âges où les plus de 50 ans représentent plus de 53 % du personnel.

En 2009, Frédéric Pons, alors PDG national de cette filiale du groupe Spir, déclarait à Marianne : « La livraison de prospectus est un exercice un peu physique pour cette main-d’œuvre vieillissante, mais nous rendons service à ces gens : grâce à ce boulot, ils économisent un abonnement au gymnase-club. » Pour Me Françoise Felissi, il est donc hors de question de « faire passer Adrexo pour une entreprise voyou qui conduirait ses salariés à la mort »...

...C’est pour le dénoncer, et pour demander réparation du préjudice moral qu'il a subi que Laurent D. a engagé cette procédure aux prud’hommes. Le jugement a été mis en délibéré au 28 janvier 2016..."

Publié dans Société

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