Etat d'urgence : Un texte fourre-tout

Publié le par Laute Alain

Comment l'état d'urgence va entrer dans la procédure pénale

7 janvier 2016 | Par Lénaïg Bredoux et Michel Deléan

Malgré quelques avancées, le projet de loi fourre-tout visant à lutter contre la criminalité organisée et à simplifier la procédure pénale contient des atteintes graves aux libertés, et contourne le juge au profit du préfet et du procureur. Mediapart publie le texte en intégralité.

Un texte fourre-tout, mêlant des mesures liberticides et quelques réformes de bons sens. Le « projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale », dont les grandes lignes ont été dévoilées par Le Monde, et que Mediapart publie dans son intégralité, (à lire sur le site de Mediapart) pose problème. Au point que l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), d’ordinaire modérée, juge certaines dispositions du projet « scandaleuses et dignes d’un État policier », selon sa présidente, Virginie Duval.

La philosophie générale du texte, dans sa version transmise au conseil d’État, et susceptible d’évoluer, consiste à donner plus de pouvoirs aux policiers et aux préfets au détriment des procureurs, mais aussi à confier à ces mêmes procureurs des décisions qui relevaient jusque-là de juges statutairement indépendants. Le tout sous couvert d’une nécessaire et indistincte mobilisation contre le terrorisme et le crime organisé, et cela malgré un arsenal législatif déjà renforcé récemment à plusieurs reprises. Les exceptions et les dérogations au droit se multiplient dans ce projet, avec un risque d’arbitraire qui augmente symétriquement. Il s’agit, en fait, de se rapprocher d’une forme d'état d’urgence permanent.

Parmi les mesures censées « renforcer l’efficacité des investigations judiciaires », il est ainsi prévu de faciliter les perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en matière de terrorisme et de criminalité organisée (article 1er). Jusqu’ici, cela n’était possible que sur décision d’un juge d’instruction ou dans les enquêtes de flagrance (faites dans l’urgence), et à des conditions strictes.

De même, l’usage des valises « Imsi catcher » (dispositifs techniques qui aspirent à distance les contacts des téléphones portables) serait étendu aux affaires de criminalité et de délinquance organisée (article 2) : elles pourraient être utilisées dans les enquêtes préliminaires dirigées par le procureur de la République, avec l’autorisation (préalable ou postérieure) du juge des libertés – c'était une demande de plusieurs magistrats, dont le procureur de Paris François Molins –, et par les juges d'instruction. Quant à l'article 3, il autorise le procureur, sur autorisation du juge des libertés ou de la détention, à prendre des mesures jusque-là réservées à l'instruction (sonorisation, fixation d'images...).

« Le mouvement initié en 2004 avec les lois Perben, qui vise à marginaliser le juge d’instruction indépendant, se poursuit, alors même que le statut du parquet n’a pas été modifié », relève Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (SM, gauche). Elle s’inquiète également d’une « surveillance massive » des citoyens et des « pouvoirs exorbitants donnés aux préfets et au ministère de l’intérieur, avec des atteintes sévères aux libertés ».

Ces entorses les plus graves aux grands principes du droit se trouvent dans le chapitre 5 du titre 1er, intitulé « dispositions renforçant l’enquête et les contrôles administratifs ». À l’opposé des promesses de campagne de François Hollande d’en finir avec les contrôles au faciès, les pouvoirs des forces de l’ordre seraient étendus en ce qui concerne les contrôles d’identité mais aussi les fouilles de bagages et de véhicules, sur simple autorisation du préfet aux abords d’installations sensibles (article 17).

Serait également créée une mesure de retenue, pour une durée de 4 heures, et sans aucun droit ou presque, d’une personne « lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste », cela pour vérifier son identité et sa situation, et à la seule appréciation des forces de l’ordre (article 18). Des mesures « inacceptables » aux yeux de Virginie Duval, car elles consistent à « écarter l’autorité judiciaire » de sujets graves touchant aux libertés individuelles.

Les règles d’usage des armes à feu des policiers, jusqu’ici limitées aux cas de légitime défense, seraient également assouplies : il deviendrait possible de faire de son arme un usage « rendu absolument nécessaire pour mettre hors d’état de nuire une personne venant de commettre un ou plusieurs homicides volontaires et dont il existe des raisons séreuses et actuelles de penser qu’elle est susceptible de réitérer ces crimes dans un temps très voisin des premiers actes » (article 20). Une formulation qui semble floue, voire dangereuse, à de nombreux juristes.

Le projet de loi renforcerait, en outre « le contrôle des personnes qui se sont déplacées à l’étranger afin de participer à des activités terroristes, et qui, de retour sur le territoire national, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique ». Il s’agirait « de mettre en œuvre différentes mesures de police administrative » avec des obligations. le ministère de l’intérieur pourrait les assigner à résidence ou les obliger à pointer. Cela alors que les personnes ayant commis une infraction sont déjà prises en charge par la machine judiciaire. « Si elles n’en ont pas commis, pourquoi les astreindre à ce qui ressemble à un contrôle judiciaire décidé par une autorité administrative? », demande Virginie Duval.

Le Syndicat des avocats de France (SAF) est lui aussi très remonté contre ce projet de loi. « On est en train de brouiller le principe de la séparation des pouvoirs entre la justice et l’exécutif. Or la justice protège de l’arbitraire, notamment par l’exercice du contradictoire, qui donne des droits tant à la défense qu’aux victimes », juge Florian Borg, le président du SAF. Selon lui, avec ces nouvelles dispositions, « la France s’éloigne lentement d’un État de droit pour se rapprocher d’un État arbitraire »...."

"..." Le premier ministre Manuel Valls s’est quant à lui fendu d’un communiqué mercredi pour défendre un texte qui « vient conforter l’État de droit », et souligner que « sept dispositions nouvelles sur les 34 articles que compte ce texte, ont été insérées sur proposition du ministre de l’intérieur ». Le gouvernement attend désormais l’avis du conseil d’État, saisi fin décembre, avant une présentation du projet de loi en conseil des ministres début février. "

(Lire l'intégralité du texte sur le site Mediapart).

Publié dans Politique

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