Terrorisme et éducation nationale

Publié le par Laute Alain

La République à l'école:
le forcing de Vallaud-Belkacem

9 janvier 2016 | Par Faïza Zerouala

Un an après les attentats de janvier 2015, la ministre de l'éducation Najat Vallaud-Belkacem multiplie les initiatives pour promouvoir les valeurs républicaines à l'école, alors que les enseignants sont désormais désignés comme cibles par l'État islamique. Cet activisme ministériel, parfois en décalage avec les autres préoccupations des enseignants, laisse perplexes plusieurs responsables syndicalistes.

Ce n'est pas un hasard si le jour anniversaire de l’attentat à Charlie Hebdo, Najat Vallaud-Belkacem s’est invitée dans le cours d’enseignement moral et civique (EMC) d’une classe de 3e du collège Madame-de-Staël, dans le 15e arrondissement de Paris. Ce 7 janvier, la ministre, accompagnée du Défenseur des droits Jacques Toubon, s’est glissée parmi les élèves. Assise au second rang, près d'un élève, la ministre derrière son bureau d’écolier participe volontiers à la leçon du jour dont le thème est – sans surprise – la liberté d’expression..."

" ... Se tourner vers l’école pour résoudre des problèmes de société ou du moins tenter de les corriger n’a rien de nouveau. La stratégie d’associer le corps professoral à la formation des futurs citoyens constitue la colonne vertébrale de l’Éducation nationale telle qu’elle a été pensée à l’origine.

Selon Claude Lelièvre, historien de l’éducation et blogueur sur Mediapart, il s’agit même de l’une des missions premières assignées aux professeurs : « Tout le monde l’a oublié mais les institutions fondatrices de l’école primaire de la IIIe République ne visaient pas à apprendre à lire, écrire et compter mais à diffuser l’éducation morale et civique. C’est même l’objectif de tête. L’État s’y intéresse pour mettre Dieu au centre de tout et donner une armature religieuse et civique aux élèves. Au départ, il s’agit de former des bons catholiques. » La proclamation de la IIIe République le 4 septembre 1870 change la donne, il faut affermir ses fondements encore fragiles. L’école en sera l’un des truchements et emprunte une autre direction..."

"... Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, syndicat majoritaire des chefs d’établissement : « On est dans un rythme médiatico-politique dans lequel, dès qu’il se passe quelque chose, il faut annoncer des mesures et peu importe si la plus grande partie sont déjà en place ou annoncées et jamais appliquées. C’était la même chose dans les années 2000 avec les multiples plans antiviolence. »

Pour sa part, Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp-FSU, syndicat majoritaire chez les enseignants du premier degré, partage ce constat. « On voit bien un discours fort du gouvernement et de la ministre sur l’importance des valeurs républicaines comme si l’école avait failli. Il ne faut pas en venir à faire le procès de l’école, comme si elle pouvait et devait résoudre tous les maux de la société. On ne peut pas demander à l’école qu’elle délivre un catéchisme républicain. Ce serait inopérant et inefficace. »..."

"... Lors de son déplacement dans le collège du 15e arrondissement, Najat Vallaud-Belkacem se félicite « du travail énorme » accompli. Elle est alors questionnée sur sa promotion effrénée des valeurs républicaines dans une école qui demeure profondément inégalitaire, voire ségrégative. La ministre ne se laisse pas déstabiliser et en profite pour mentionner tous les chantiers engagés :

« Tout ce qui peut être amélioré pour contrer le déterminisme social va en ce sens. Nous devons démontrer aux élèves que "liberté, égalité, fraternité" n’est pas une devise théorique, sinon on n’arrivera pas à les entraîner avec nous dans cette dynamique. Toutes les réformes tournent autour de ce sujet, assure-t-elle. Quand on réforme le collège, c'est pour donner une égalité des chances à tous les élèves et pas seulement à ceux qui en connaissent les codes. Quand on donne la priorité au primaire, à la scolarisation avant trois ans ou davantage de moyens dans les quartiers populaires. Quand on lance le chantier de la mixité sociale au collège dans 20 départements en redessinant la carte scolaire. »..."

"...À force de verser dans le symbole et de mettre sans cesse en avant ces initiatives, devenues un leitmotiv de la communication ministérielle, la ministre ne risque-t-elle pas de créer un sentiment de décalage, eu égard aux attentes des professeurs en matière de sécurité par exemple ? Un motif d'inquiétude sérieux a surgi après les attentats de novembre 2015 et depuis que les enseignants ont fait l'objet de menaces de mort de la part de l'État islamique..."

"... La charte de la laïcité, promue par le ministère de l’Éducation nationale, est reproduite in extenso et ici rebaptisée « charte de la mécréance ». Les solutions pour échapper à cette influence sont édictées dans cet article. La première consiste à faire la hijra, l’émigration en terre d’islam. La seconde relève de l’appel au meurtre contre les assistants sociaux qui « retirent les enfants musulmans à leurs parents » et « les fonctionnaires de l’éducation nationale qui enseignent la laïcité ». Les consignes sont clairement édictées, il est demandé « de combattre et de tuer, de toutes les manières légiférées, ces ennemis d’Allah. (…) Cela vaut pour les professeurs qui enseignent la laïcité aux enfants ».

La ministre rassure le personnel éducatif sur le dispositif mis en œuvre : « Des mesures spécifiques ont été prises pour assurer la sécurité dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités. Dès le soir des attentats, des consignes claires ont été données aux recteurs. J’ai demandé notamment à ce que des adultes soient bien présents à l’entrée des établissements, pour vérifier que seules des personnes qui leur sont familières y pénètrent. »..."

"... Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU, principal syndicat du secondaire, a aussi été la récipiendaire de quelques craintes de professeurs ayant pris au sérieux ces menaces et qui disent se rendre en cours avec une légère anxiété. D’après elle, il faut renforcer la sécurité ou au moins l'adapter au contexte des attentats. Actuellement, il incombe aux chefs d’établissement de mettre en œuvre le plan particulier de mise en sûreté (PPMS), mais ils sont plus « habitués à gérer des alertes incendie », explique-t-elle. « J’avais demandé au ministère que soit organisée sur le temps de travail, dans chaque établissement, une réunion entre la vie scolaire et les professeurs pour les sensibiliser à ces questions et voir ce qu’on peut faire, selon les réalités du terrain. Pour le moment, cela n'a pas été fait. En attendant, il ne faut ni dramatiser, ni minimiser ces menaces. »

(Lire l'intégralité du texte sur le site de Mediapart).

 

Publié dans Politique

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