Naufrage du journalisme politique

Publié le par Laute Alain

Le naufrage du journalisme politique

13 mars 2016 | Par Laurent Mauduit

Alain Minc a reçu samedi le prix du livre politique 2016. Cette récompense attribuée par une trentaine de hiérarques de la presse vient confirmer le triste naufrage du journalisme politique, tel qu'il est conçu dans les grands médias, et combien le journalisme de connivence tient encore le haut du pavé.

C'est une information microscopique qui n’a aucun intérêt par elle-même : Alain Minc a reçu samedi le prix du Livre politique 2016. Mais c’est une information qui en cache une autre, beaucoup plus importante : elle vient confirmer que le journalisme de connivence à la française tient encore le haut du pavé, puisque c’est une belle brochette d’éditorialistes des grands médias français qui a eu la stupéfiante idée de récompenser un essayiste qui, dans le passé, a déjà été condamné pour plagiat.

Un jury de journalistes a attribué samedi le prix du Livre politique à Alain Minc pour son livre Un Français de tant de souches (Grasset). Le jury a préféré ce livre à deux autres, qui étaient retenus dans la phase finale du vote : une enquête sur Patrick Buisson, Le Mauvais Génie (Fayard), par deux journalistes du Monde, Ariane Chemin et Vanessa Schneider ; et le livre Piège d’identité (Fayard), écrit par Gilles Finchelstein, un ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn, proche du banquier d’affaires Matthieu Pigasse auquel il a parfois prêté sa plume.

Membre du jury, l’éditorialiste du Journal du dimanche Dominique de Montvalon raconte dans ces termes sur le site Internet de la publication comment les choses se sont passées : « Après des explications de vote parfois passionnées, le livre de Minc a recueilli au 1er tour 9 voix et les autres livres, ex-æquo, 8 voix chacun. Au second tour, après de nouvelles explications de vote, l'essai d'Alain Minc a recueilli 10 voix, l'emportant donc, devançant Le Mauvais Génie d'une voix, le livre de Gilles Finchelstein n'en obtenant plus “que” 6. »

Ainsi, il s’est trouvé une majorité d’éditorialistes de ce qu’il est convenu d’appeler la grande presse pour voter en faveur de l’entremetteur du capitalisme parisien, ancien conseiller occulte de Nicolas Sarkozy reconverti aujourd’hui dans la campagne en faveur d’Alain Juppé, qui tout au long de sa carrière intellectuelle n’a cessé de se tromper.

N’a-t-il pas annoncé la balkanisation de l’Europe quelques semaines avant que le Mur ne s’effondre ? Le 5 janvier 2008, alors qu’une crise financière historique avait déjà commencé à secouer la planète, n’a-t-il pas proféré sur Direct 8 l’une de ces âneries dont il a le secret ? « On nous aurait dit que le système financier serait régulé avec un doigté tel qu’il évitera une crise, une crise qui aurait pu être de l’ampleur des très grandes crises financières du passé. C’est quand même un univers très résilient qui finalement, sans qu’il y ait d’organe apparent de régulation, est très bien régulé, quand même. Le jeu conjugué des banques et même des gouvernements, on se dit l’empirisme en réalité prévaut au-delà des postures idéologiques, et l’économie mondiale est plutôt bien gérée. »

Mais il y a pire que la constance dans l’erreur, il y a le plagiat ! Comme je l’ai raconté dans mon livre sur Alain Minc, Petits Conseils (Stock, 2007), le 28 novembre 2001, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé un jugement très sévère à l’encontre d’Alain Minc, estimant que dans un livre consacré à Spinoza, il avait plagié un professeur de philosophie, Patrick Rödel. Et le plagiat avait été grossier : sans se rendre compte que Patrick Rödel écrivait une fiction, au cours de laquelle un médecin conseillait à Spinoza de faire une confiture de roses pour se soigner, Alain Minc avait reproduit la recette, comme s’il s’agissait d’une histoire authentique.

« La contrefaçon est constituée », avait estimé le tribunal. Dans le cas de la confiture de roses, le tribunal s'était même indigné que la recette soit « fictive et servilement reproduite » par le plagiaire. Le contrefacteur Alain Minc et son éditeur avaient été lourdement condamnés : ils ont dû solidairement « payer à Patrick Rödel la somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts », plus 20 000 francs en application de l'article 700 du code de procédure civile. Lequel Patrick Rödel – qu'il m'autorise à le dire – est devenu un ami, et tient son blog sur Mediapart.

Ailleurs qu’en France, le destin d’Alain Minc aurait été scellé. Tout intellectuel a le droit de se tromper ; mais se tromper constamment à cause des mêmes partis pris entraîne une disqualification immédiate dans le débat public. Mais, en France, non : Alain Minc continue de pérorer sur tous les médias. Ailleurs qu’en France, un plagiat entraîne aussi une disqualification encore plus nette et définitive. Mais en France, au pays de l’oligarchie, ce n’est pas plus le cas : non seulement Alain Minc n’est pas disqualifié, mais il est… distingué !

Cette récompense ne dit donc pas grand-chose sur Alain Minc, qui est parvenu à se fâcher avec ses deux anciens commanditaires, Vincent Bolloré dans la vie des affaires, et Nicolas Sarkozy dans la vie politique (lire Alain Minc se fâche avec Vincent Bolloré et avec Nicolas Sarkozy). Mais elle dit beaucoup sur les mœurs et usages des oligarques du journalisme parisien.

Le discrédit des hiérarques du journalisme mondain est en réalité double. D’abord parce qu’ils accordent leur faveur à Alain Minc. Ensuite parce qu’ils préfèrent son essai à celui des deux journalistes du Monde, Ariane Chemin et Vanessa Schneider. Or, il suffit de feuilleter leur livre pour mesurer qu’il est pour le moins dérangeant pour… le système oligarchique, dont font partie les membres de ce jury.

Dans leur livre, Le Mauvais Génie, les deux journalistes dressent en effet un récit qui permet de mieux comprendre l'influence que l’ancien journaliste de Minute, Patrick Buisson, a eu sur de nombreux dirigeants politiques, dont au premier chef Nicolas Sarkozy, mais aussi sur certains journalistes. Au fil des pages, on découvre dans quelles circonstances Patrick Buisson, qui ne cache pas son antisémitisme, a été le principal conseiller de Nicolas Sarkozy dès 2005 ; on apprend aussi qu’il enregistrait tout le monde quand il était à Minute, bien avant qu’il ne fasse de même avec Nicolas Sarkozy ; on découvre aussi dans quelles conditions il devient directeur général de la chaîne Histoire, en remerciement de la victoire sarkozyste en 2007 ; chaîne à laquelle il a donné une empreinte maurrassienne qui est toujours aujourd’hui perceptible ; ou encore, on apprend dans quelles conditions le même Patrick Buisson dicte chaque jour par téléphone à Étienne Mougeotte les « manchettes » du Figaro puis, lors du départ de ce dernier, parvient à promouvoir à sa place, comme directeur des rédactions du groupe Le Figaro, son protégé, un certain… Alexis Brézet.

Alors, bien sûr, on comprend sans peine qu’à ce récit des dérives de certains politiques français frayant sans le moindre scrupule avec une tête pensante de l’extrême droite, quelques oligarques du journalisme aient préféré récompenser Alain Minc, malgré tout le discrédit qui pèse sur lui.

Même si l’on ignore par exemple le vote d’Alexis Brézet (directeur de la rédaction, Le Figaro, Le Figaro Magazine) qui était membre du jury, on peut se risquer à penser qu’il n’a sûrement pas voté pour le livre d’Ariane Chemin et Vanessa Schneider. Car, on y fait aussi, à son sujet de confondantes découvertes, concernant le passé, pas si lointain, du patron du Figaro : « En réalité, Brézet écrit aussi pour d’autres. Patrick Buisson l’a mis en contact avec Jean-Marie Le Chevallier, député européen du Front national depuis 1984. Le journaliste va devenir son nègre et rédiger en 1989 un opuscule de 120 pages, Immigration en Europe : attention danger, que le futur maire de Toulon publie aux éditions du Front national. »

Mais si Alexis Brézet a vraisemblablement rejeté le livre des deux journalistes du Monde, pour lui préférer celui d’Alain Minc, il n’a pas été le seul. Il s’est même trouvé une majorité du jury pour voter dans le même sens. Qui ? En vérité, la question n’a pas beaucoup d’importance : entre les hiérarques du journalisme qui ont voté pour Alain Minc ; et ceux qui ont émis un vote contraire mais qui, ne disant rien, ont accepté d’apporter leur caution à cette pantalonnade mondaine, il n’y a pas de si grande différence. Alors, tous les petits marquis du journalisme qui ont participé à cette mise en scène méritent d’être connus. Les voici. Il s’agit de :

Secrétaire général :

Membres du jury :

  • Émilie Aubry, journaliste, LCP- AN, ARTE

  • Alexis Brézet, directeur de la rédaction, Le Figaro, Le Figaro Magazine

  • Anna Cabana, journaliste, Le Point, BFM TV

  • Arlette Chabot, éditorialiste

  • Élisabeth Chavelet, rédactrice en chef en charge des grands entretiens, Paris-Match

  • Michèle Cotta, éditorialiste, essayiste

  • Gérard Courtois, éditorialiste, Le Monde

  • Matthieu Croissandeau, directeur de la rédaction, L’Obs

  • Mathieu Deslandes, rédacteur en chef adjoint, Rue 89

  • Frédéric Dumoulin, chef du service politique, AFP

  • Elsa Freyssenet, chef adjointe du service Politique, Les Échos

  • Étienne Gernelle, directeur de la rédaction, Le Point

  • Yaël Goosz, rédacteur en chef du service politique, France Info

  • Laurent Guimier, directeur, France Info

  • Béatrice Gurrey, grand reporter, Le Monde

  • Bruno Jeudy, rédacteur en chef Politique et économie, Paris Match

  • Laurent Joffrin, directeur de la rédaction, Libération

  • Marie-Ève Malouines, présidente, directrice générale LCP-AN

  • Julien Martin, journaliste politique, L’Obs

  • Dominique de Montvalon, rédacteur en chef politique, Le Journal du Dimanche

  • Luce Perrot, présidente – fondatrice, Lire la politique

  • Brice Teinturier, directeur général délégué, IPSOS France

  • Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction, Le Figaro

  • Valérie Toranian, directrice La Revue des Deux Mondes

Tous ces noms et l’organisation du prix peuvent être consultés dans le document suivant.

En vérité, la seule note triste de cette histoire, c’est que le jury de ces notables du journalisme était présidé par Costa Gavras – le pauvre, qu’est-il donc venu faire dans cette galère ? Selon de très bonnes sources, il était désolé par l’issue du scrutin. Le voici informé à ses dépens du naufrage du journalisme politique français…

 

Publié dans Société

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