Urvoas, ministre critique ?

Publié le par Laute Alain

La justice «se clochardise», selon son ministre

19 avril 2016 | Par Michaël Hajdenberg

« L'institution judiciaire est en voie de clochardisation », a déclaré le 18 avril Jean-Jacques Urvoas, le ministre de la justice, lors d'un déplacement à Lille. Cette pauvreté rend impossible le quotidien des magistrats. Mais elle a aussi des répercussions concrètes sur la vie des justiciables. Nous republions les témoignages de six magistrats qui racontent comment l'indigence engendre l'injustice.

Même le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, ne peut que constater l'ampleur des dégâts. Lors d'un déplacement à Lille où il a annoncé la construction d'un nouveau palais de justice, Jean-Jacques Urvoas a dénoncé le manque de moyens alloués aux tribunaux. « L'institution judiciaire, dans bien des endroits et je pèse mes mots, est en voie de clochardisation. Il faut le dire. »

Le garde des Sceaux, qui a remplacé Christiane Taubira en janvier dernier, ne va pas jusqu'à remettre en cause le budget proposé par l'exécutif car, dit-il, « il n'y a pas de marge de manœuvre considérable. » Il constate cependant : « Il y a tous les jours des reportages qui montrent qu'ici l'électricité n'est pas payée, que là un plafond s'est effondré, que le premier geste que fait un magistrat avant d'entrer dans un bureau est d'acheter une serpillière. Je ne fais pas du catastrophisme ni du misérabilisme. Pour le moment, je n'ai pas d'autres certitudes que celle de ma détermination. »

Encore des mots, toujours des mots ? Dans une interview au JDD au début du mois, Jean-Jacques Urvoas avait déjà reconnu que « le ministère n'a plus les moyens de payer ses factures. D’ailleurs, la direction de l’administration pénitentiaire a 36 millions d’euros de factures impayées pour des hospitalisations de détenus ».

Il est vrai que partout en France, dans toutes les juridictions, les moyens manquent. Depuis des années, les témoignages affluent sur cet exercice impossible. À titre d’exemple, un juge palois nous a raconté qu’une audience de comparutions immédiates avait dû s’achever il y a quelques semaines à la lumière du téléphone portable du président, la dernière ampoule de la salle ayant rendu l’âme..."

"...Juge des enfants à Bobigny

En 2013, je reprends le cabinet d’un juge pour enfants qui était vacant c'est-à-dire sans juge et sans greffier depuis six mois. Dans le tas de dossiers et de courriers, il y a une requête du procureur, qui concerne un couple en instance de séparation. Les relations dans le couple sont violentes et les enfants sont au cœur de ces conflits.

La saisine du juge des enfants se base sur un signalement de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) qui date de 2012, et j’apprendrai plus tard que le juge aux affaires familiales est lui aussi saisi depuis cette même année en vue de cette séparation, mais que les parents sont alors en attente d’une audience. J’envoie donc une première convocation fin 2013. Personne ne vient à l’audience : visiblement, la famille a déménagé entre-temps. Je demande au commissariat de faire des recherches et six semaines plus tard, je peux envoyer une nouvelle convocation.

Les quatre enfants ont alors 3, 5, 12 et 13 ans. Les premiers éléments que je recueille ne sont pas très précis. Je comprends que les parents se battent, que les enfants s’interposent, mais je m’interroge : faut-il préconiser une simple médiation parentale ? Ou y a-t-il une véritable carence dans l’éducation des enfants ? Je manque d’informations sur leur état de santé..."

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Cette enquête a été publiée le 14 mars 2016. Nous la republions à l'occasion des propos tenus par Jean-Jacques Urvoas lors de l'annonce de la construction d'un nouveau Palais de justice à Lille. Plusieurs des magistrats interrogés sont membres du syndicat de la magistrature ou de l'Union syndicale des magistrats. Mais la plupart ne souhaitaient pas que leur nom apparaisse. Certains ont même demandé que leur lieu d'exercice reste inconnu. Nous avons naturellement accepté ces demandes.

 

Publié dans Politique

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