Justice : Lagarde, Tapie, dénouement ?

Publié le par Laute Alain

La justice retrouve Lagarde sous le Tapie

pour que justice soit faite

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Tapie: la justice reproche à Christine Lagarde son «incurie»

12 janvier 2016 | Par Laurent Mauduit (Extraits)

" Dans une ordonnance de renvoi devant la Cour de justice de la République, que Mediapart révèle, la commission d'instruction taille en pièces les explications de la patronne du FMI dans l'affaire Tapie, qu'elle juge « affligeantes ». « Le comportement de Mme Lagarde ne procède pas seulement d'une incurie mais aussi d'une conjonction de fautes qui, par leur nature, leur nombre et leur gravité, dépassent le niveau d'une simple négligence », estiment les magistrats.

Si l’on savait depuis le 17 décembre dernier, à la suite des révélations de Mediapart, que les magistrats de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) avaient décidé de renvoyer devant cette juridiction Christine Lagarde pour « négligences » dans la gestion de l’affaire Tapie (lire Christine Lagarde est renvoyée devant la Cour de justice de la République ou, dans sa version anglaise, French judges send IMF chief Lagarde for trial), on ignorait le détail des griefs retenus contre l’ex-ministre des finances, à l’origine de cette décision. De mystère, pourtant, il n’y en a plus. Mediapart est en mesure de révéler l’ordonnance de renvoi prise par les magistrats.

D’une exceptionnelle sévérité, cette ordonnance de renvoi taille en pièces la défense de l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), allant jusqu’à dire que certaines de ses explications sont « affligeantes ». Mais surtout, elle dresse un réquisitoire en règle de la gestion de ce dossier par Christine Lagarde, pointant tour à tour « une décision mal préparée » puis « mal encadrée ». Les magistrats font en particulier ce constat ravageur : « Les négligences multiples commises, à cette occasion, par un ministre ayant par ailleurs l'expérience, tout à la fois, des contentieux financiers et de la procédure d'arbitrage, sont difficilement explicables, si ce n'est par la volonté d'imposer des choix déterminés à l'avance ; (…) en toute hypothèse, le comportement de Mme Lagarde ne procède pas seulement d'une incurie et d'une précipitation critiquables, mais aussi d'une conjonction de fautes qui, par leur nature, leur nombre et leur gravité, dépassent le niveau d'une simple négligence. »

À l’évidence, dans cette ordonnance, chaque mot a été soupesé. Les magistrats retiennent contre Christine Lagarde des griefs qui relèvent de « l’incurie » qui, selon le dictionnaire Larousse, signifie « négligence extrême » –, mais qui vont encore au-delà. Ils font valoir que l'ex-ministre a commis des « fautes (…) constitutives d'autant de négligences graves », lesquelles ont « permis que soit détournée par des tiers la somme de 403 millions d’euros ».

La gravité des fautes relevées risque de placer Christine Lagarde dans une situation délicate à l’approche de son renvoi devant la Cour de justice de la République. Mais elle risque aussi de compromettre sa reconduction, l’été prochain, à la tête du FMI, car si l’institution financière lui a jusqu’à présent toujours manifesté sa solidarité, cela risque de devenir désormais de plus en plus délicat. Sauf à ce que le FMI accepte le discrédit d'avoir à sa tête une patronne sur laquelle pèsent des soupçons « d’incurie », sinon même de fautes encore plus graves...."

"... « Sarkozy et Tapie se sont rencontrés à plusieurs reprises, et notamment les 30 juillet et 17 novembre 2007, soit, respectivement, la veille du renouvellement de la proposition d'arbitrage et le lendemain de la signature du compromis d'arbitrage ; […] des liens d'amitié anciens existaient entre MM. Richard et Sarkozy qui se sont rencontrés, notamment, le 20 août 2007 […] ; du tutoiement ressortant de leurs relations écrites et téléphoniques, se déduit une forme de proximité entre M. Richard et M. Tapie ; […] ainsi, le 9 juillet 2008, […], ce dernier a adressé à M. Richard une note, en le tutoyant, pour lui transmettre, notamment, les deux consultations de M. Fadtaflah qu'en outre, la retranscription de leurs échanges téléphoniques témoigne de la familiarité de leurs rapports (D2838, D2623) ; […] il résulte des déclarations de Me August que celui-ci connaît très bien et de longue date M. Richard, dont il a indiqué avoir été le témoin de mariage ; […] la nature des relations de MM. Guéant et Tapie se déduit des nombreux courriers que ce dernier a adressés et des multiples rencontres entre les deux hommes, comme celle du 30 juillet 2007. »

En bref, Christine Lagarde n’avait pas ce type de relation avec Bernard Tapie, et les magistrats retiennent donc cela à sa décharge. Mais une fois ces précautions prises, c’est une avalanche de griefs, tous plus sévères les uns que les autres.

Premier grief, l’ordonnance relève que l’arbitrage a résulté d’une « décision mal préparée ». « Prise rapidement en raison, sans doute, de l'agitation de M. Tapie qui souhaitait un accord proche, la décision de recourir à un arbitrage n'a été précédée ni d'une expertise juridique sur la possibilité d'arbitrer ni d'une étude approfondie du dossier malgré sa complexité et les conséquences importantes qu'il pouvait avoir sur les finances publiques », relève l’ordonnance..."

"... Deuxième grief, les magistrats en concluent que la décision d’aller à l’arbitrage a aussi été « mal encadrée ». Ils observent en effet que « l'historique du dossier aurait pu conduire la ministre à exiger un encadrement plus strict de l'arbitrage ; que le CDR, qui n'était, en principe, pas demandeur, aurait pu imposer ses conditions sur les préjudices à prendre en considération et sur leur plafond ; qu'aucune condition n'a été posée sur ce point, laissant ainsi le champ libre à M. Tapie, ce qui a conduit M. Breton à déplorer que l'arbitrage n'ait pas été encadré “en se référant strictement aux recommandations énoncées par les trois hautes personnalités” »..."

"... Troisième grief, les magistrats notent que Christine Lagarde avait pourtant toutes les raisons de se méfier de cet arbitrage, puisque la direction de Bercy en charge du dossier, l’Agence des participations de l’État (APE), a multiplié les notes pour la mettre en garde, elle comme ses prédécesseurs, contre un éventuel recours à l’arbitrage. Toutes les notes sont ainsi énumérées, dont une note en date du 1er août 2007, soulignant que l’arbitrage « n'est justifié ni du point de vue de l'État, ni du point de vue du CDR et pourrait même être considéré comme une forme de concession inconditionnelle et sans contrepartie faite à la partie adverse ».

Quatrième grief, les magistrats soulignent que Christine Lagarde a signé le 10 octobre 2007 des instructions lançant la procédure d’arbitrage, mais dans des conditions obscures car on ignorait encore à l’époque si l’ex-Crédit lyonnais prendrait ou non à sa charge un dédit de 12 millions d’euros lié à cette affaire. Les magistrats relèvent ainsi l’inconséquence du comportement de la ministre, pourtant en charge de veiller aux finances publiques. « Interrogée à ce propos, relèvent-ils, Mme Lagarde n'a pas contesté avoir donné de telles instructions, mais a déclaré qu'elle avait dû signer la note rapidement car le conseil d'administration de I'EPFR devait se réunir le jour même ; qu'elle a ajouté que ces instructions ne lui avaient pas paru claires, qu'elle n'avait pas lu les notes de I'APE visées en référence, notamment celle du 3 octobre 2007 qui l'informait du refus du Crédit lyonnais, et que la question des 12 millions d'euros lui était apparue secondaire. »..."

"... Cinquième grief, ...« Mme Lagarde ne peut, dès lors, se retrancher derrière une prétendue ignorance des instructions qu'elle a données et qu'il lui appartient d'assumer, même si elle ne les a pas signées elle-même ; qu'en conséquence, et comme on l'a relevé ci-dessus, l'abandon de l'engagement du Crédit lyonnais à l'égard de l'État, tel qu'il avait été consacré par son prédécesseur le 17 mars 1999, à seule fin d'ouvrir la voie à un arbitrage dont la banque était exclue et qui faisait courir un risque accru pour les finances publiques, constitue une faute caractérisant, à tout le moins, une négligence d'une particulière gravité. »

« Une faute d’une particulière gravité » : encore une fois, ce sont des accusations très lourdes que portent les magistrats.

Sixième grief, les magistrats relèvent, avec force détails, que Christine Lagarde a renoncé, en juillet 2008, à l’exercice d’un recours en annulation de la sentence arbitrale dans des conditions proprement surréalistes..."

"... En conclusion, les magistrats font valoir que « les négligences multiples commises, à cette occasion, par un ministre ayant par ailleurs l'expérience, tout à la fois, des contentieux financiers et de la procédure d'arbitrage, sont difficilement explicables, si ce n'est par la volonté d'imposer des choix déterminés à l'avance ; qu'en toute hypothèse, le comportement de Mme Lagarde ne procède pas seulement d'une incurie et d'une précipitation critiquables, mais aussi d'une conjonction de fautes qui, par leur nature, leur nombre et leur gravité, dépassent le niveau d'une simple négligence »..."

"... L’article 432-16 du code pénal édicte ceci : « Lorsque la destruction, le détournement ou la soustraction par un tiers des biens visés à l'article 432-15 résulte de la négligence d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, d'un comptable public ou d'un dépositaire public, celle-ci est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » L’article 432-17 du même code pénal précise que les peines suivantes peuvent être prononcées, à titre « complémentaire » : « L'interdiction des droits civils, civiques et de famille. […] L'interdiction, […] soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit […] d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement. »

Formidable débat donc que celui ouvert par cette ordonnance : un ministre, qui est censé être en charge de l’intérêt général, peut-il prendre prétexte de son indolence ou de sa méconnaissance, réelle ou feinte, des dossiers dont il a pourtant la charge, pour se dégager de ses responsabilités ? Peut-il même tirer argument du fait que la décision est venue des sommets de l’État et que, par solidarité, il a dû s’incliner ? C’est une leçon civique qui transparaît de cette ordonnance : un ministre est responsable de ce qu’il fait comme de ce qu’il ne fait pas.

C’est dire si l’avenir judiciaire de Christine Lagarde s’est brutalement assombri. Et pas seulement son avenir judiciaire…

(Lire l'intégralité de cet article sur le site de Mediapart).

 

Publié dans Politique

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