Le "Chocolat" de Zem, à déguster chaud

Publié le par Laute Alain

Chocolat-Sy, Chocolat oui !

Chocolat-Sy, Chocolat oui !

Roschdy Zem réussit son «Chocolat»

4 février 2016 | Par Emmanuel Burdeau extraits.

Roschdy Zem raconte le destin du premier artiste noir de la scène, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. James Thierrée et Omar Sy, l'amour du spectacle et les formes paradoxales du racisme : une remarquable réussite dans le ciel sombre du cinéma commercial français.

La première fois qu’ils se mettent au travail ensemble, George Footit indique au futur Chocolat que pour faire rire, il ne suffit pas de gesticuler et de grimacer. Raconter une histoire par les gestes est primordial, ainsi qu’introduire un écart entre ce que le public attend et ce qui arrive. L’année : 1897. Le lieu : un champ près duquel le modeste cirque Delvaux a dressé son chapiteau, où le vétéran tente de retrouver une place et où, en jouant le cannibale, le géant originaire de Cuba offre un peu de frayeur à un public clairsemé. L’exercice sera profitable : les deux hommes vont inventer le tandem du clown blanc et de l’auguste, mais aussi former le premier duo constitué d’un artiste blanc et d’un artiste noir. Footit et Chocolat quitteront bientôt Delvaux pour Paris et le Nouveau Cirque de Joseph Oller, où leurs numéros vont atteindre une popularité record.

C’est cette histoire que Roschdy Zem raconte dans son quatrième long métrage, avec James Thierrée et Omar Sy dans les rôles principaux, en prenant des libertés avec les faits, mais non sans s’inspirer des travaux pionniers du grand historien de l’immigration Gérard Noiriel. Noiriel a consacré deux livres et une pièce de théâtre à celui qui, vingt ans avant Joséphine Baker, fut le premier artiste noir de la scène. Célébrité de la Belle Époque, Chocolat mourut dans la misère et fut oublié dès lors qu’on jugea dépassés et inacceptables les préjugés raciaux sur lesquels reposait son succès. Sur scène, la tâche du fils d’esclaves consistait en effet principalement à se prendre des baffes et à se faire botter le cul par son partenaire et mentor.

Ce n’est pas tout à fait cela que filme Roschdy Zem. Entre ce qu’on attend, croit voir et ce qui arrive bel et bien, l’acteur devenu cinéaste ménage un certain nombre d’écarts. Ceux-ci maintiennent constamment en alerte l’attention du spectateur. Mieux : ils font de Chocolat un des rarissimes films actuels impropres à alimenter l’usuelle déploration concernant le caractère sinistre et laid – pour rester poli – du cinéma commercial français.

Roschdy Zem montre peu Chocolat et Footit au travail, il préfère suggérer l’idée d’un progrès ou d’une évolution dans les différences qui existent d’un numéro à l’autre, l’apparition d’un nouveau costume ou d’une nouvelle pirouette. Rien ne se répète, tout se transforme. Les costumes s’enrichissent, la scénographie aussi, et bien sûr le rapport entre les deux hommes. Zem évite ainsi de lasser. Mieux (bis) : il accorde le plein émerveillement du spectacle à des notes plus subtiles.

Au fil des numéros, le spectateur voit bien que Chocolat commence à concevoir de l’amertume, voire à désirer davantage. Ce n’est pourtant jamais univoque. Car Chocolat gagne en prestance, et son rôle de souffre-douleur ne l’empêche en rien de jouir des rires du public, et encore moins de la renommée et de la fortune : costumes à carreaux, voiture, conquêtes féminines… Car Footit ne souffre pas moins, se démenant comme un beau diable pour faire exister des saynètes auxquelles son partenaire, par distraction ou rébellion, est souvent tenté de se soustraire. En effet la conscience que le spectateur d’aujourd’hui a de l’exploitation de stéréotypes raciaux ne l’interdit nullement de prendre plaisir aux prouesses..."

"...Chocolat croise la politique et le spectacle, il croise Omar m’a tuer et Bodybuilder. Toujours nuancé, le propos politique de Zem peut surprendre, à une époque où le racisme est si agressivement présent ; rien ne dit cependant qu’on doive le juger moins fort pour autant. Les émotions du film sont justes pour les raisons que j’ai essayé de dire et aussi, sinon d’abord, parce que Roschdy Zem, acteur et cinéaste d’origine marocaine, parle ici de ce qu’il connaît. Il n’a pas fait mystère de certaines résonances troublantes entre son parcours (et celui d’Omar Sy) et celui de Chocolat. Mais la mesure de la réussite de Chocolat est également ailleurs. Affaire d’équilibre encore, et autre exception au sein du cinéma français : ce film personnel est une commande, passée à Zem par Éric et Nicolas Altmayer.

On n’en tirera aucune règle. On se contentera de dire que, contrairement à une idée reçue, nombre de cinéastes en France aimeraient travailler de cette façon, à partir d’un projet qu’on leur propose et disposant déjà d’un premier scénario. Chocolat, qu’il faut voir, donne raison à ce désir.

 

Publié dans Culture

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