A Rio c'est la déprime pour les brésiliens

Publié le par Laute Alain

Dessin de KARAK.
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Avis de déprime sur le Brésil olympique

4 août 2016 | Par Lamia Oualalou sur Mediapart.

C’était il y a sept ans, une éternité : Rio de Janeiro obtenait l’organisation des JO 2016. Depuis, le président chéri Lula a chuté, sa successeur Dilma Rousseff également, le pays est profondément divisé et l’économie a plongé.


Rio de Janeiro (Brésil)

C'était le 2 octobre 2009, il y a sept ans, une éternité. À Copenhague, Luiz Inacio Lula da Silva, alors président, hurla de bonheur quand le président du Comité international olympique annonça que les Jeux de 2016 auraient lieu à Rio de Janeiro, une première dans le sous-continent américain. Au même moment, la plage de Copacabana déroulait une gigantesque banderole « Merci, Rio vous aime ». Les deux scènes, amplement relayées par la presse, résument l'état d'esprit des Brésiliens d'alors. Ils viennent de résister à la crise économique mondiale, semblent avoir trouvé le remède de la justice sociale sans lutte des classes, ont le chef d'État le plus populaire du monde, issu de surcroît d'un milieu défavorisé.

Avec l'attribution de la Coupe du monde de 2014, puis, dans la foulée, des Jeux olympiques de 2016, le Brésil en finirait avec sa réputation de « pays du futur » pour s'imposer comme une puissance du présent. Rio de Janeiro, pour sa part, fermerait la parenthèse d'un demi-siècle de décadence entamée avec le déménagement de la capitale à Brasilia pour retrouver prestige, investissements et sécurité.

Sept ans plus tard, Lula, devenu simple citoyen, est honni par une bonne moitié de la population. Depuis le 29 juillet 2016, il est même poursuivi pour tentative d'obstruction à la justice – le ministère public le soupçonne d'avoir tenté de faire taire un témoin dans le scandale de corruption de l'entreprise pétrolière Petrobras. Dilma Rousseff, son ex-dauphine, qu'il a réussi à faire élire en octobre 2010 à la tête du pays, a été écartée de ses fonctions par le Congrès. En attendant la décision finale du Sénat à son sujet, prévue entre le 29 août et le 2 septembre, elle a dû céder sa place à Michel Temer, qui était depuis 2010 son vice-président, avant de basculer dans l'opposition.

Ni Lula, ni Dilma, ni les trois autres anciens présidents encore en vie n'assisteront d'ailleurs à la cérémonie d'inauguration, le 5 août. C'est Michel Temer qui déclarera les Jeux ouverts, entouré de très peu de chefs d'État ou de gouvernement. Du G20, qui rassemble les 19 pays les plus industrialisés du monde et l'Union européenne, seuls quatre feront le déplacement : François Hollande, pour vanter les mérites de la candidature de Paris pour les JO de 2024, l'Italien Matteo Renzi, l'Argentin Mauricio Macri et l'Australien Peter Cosgrove.

La presse internationale, arrivée en force dans la « ville merveilleuse », hésite entre désolation et franche rigolade. Non seulement le pays n'a plus de chef d'État reconnu par tous, mais il est coupé en deux, une bonne part de la population estimant que la mise à l'écart de Dilma Rousseff au nom d'un tour de passe-passe budgétaire banal relève du coup d'État institutionnel. Le Brésil est « politiquement, économiquement et socialement divisé », a reconnu le président du Comité international olympique, Thomas Bach.

Symbole de la crise des institutions, le portefeuille du Tourisme, pourtant central pour l'organisation des Jeux, est sans titulaire depuis 45 jours. Nommé par Michel Temer, Henrique Eduardo Alves a démissionné après avoir été dénoncé pour corruption dans le cadre de l'investigation « Lava-Jato » – littéralement karcher, comme a été baptisée l'enquête sur les détournements au sein de Petrobras.

La moitié du village olympique est encore en construction, contraignant plusieurs délégations, comme l'allemande ou l'américaine, à payer elles-mêmes électriciens et plombiers pour rendre l'espace habitable. Certains sportifs, comme les Australiens, refusent tout simplement d'y loger, s'installant en catastrophe dans des hôtels. Le métro conduisant aux sites des principales épreuves vient à peine d'être ouvert, laissant craindre des risques pour ses usagers. Il y a trois mois, une partie de la piste cyclable fraîchement inaugurée sur la mer s'est effondrée, faisant deux morts.

Alors que les attentats se multiplient dans le monde, la question de la sécurité est plus centrale que jamais. Si Rio de Janeiro est peu sûre pour ses habitants au quotidien, les risques augmentent aux dires même des policiers. Protestant contre les retards de paiement dont ils sont victimes, ils ont fait connaître leur mauvaise humeur en manifestant à l'aéroport international de Rio à la fin juin. Une banderole noire accueillait les arrivants : « Bienvenue en enfer, les policiers et les pompiers ne sont plus payés, aucun visiteur arrivant à Rio ne sera en sécurité ». L'État de Rio de Janeiro étant en faillite, ayant fondé son budget sur des recettes pétrolières en chute libre, les fonds alloués à la sécurité ont diminué d'un tiers cette année.

Ce sont d'ailleurs les jeunes des périphéries, noirs pour leur majorité, qui subissent les conséquences d'une police militaire de plus en plus nerveuse, qui multiplie les exécutions sommaires. Rio de Janeiro avait une chance historique de devenir une ville plus juste, mais les richesses se sont au contraire concentrées, et la construction des sites de compétition a été source de nouvelles expulsions de favelas et de violations des droits humains.

Pour les arrivants, les recommandations se limitent aux questions sanitaires. Il est préférable de s'enduire le corps de produits antimoustiques pour éviter d'être contaminé par le virus Zika, même si les autorités assurent qu'en plein hiver austral, les dangers sont moindres. Les athlètes de la planche à voile ont pour recommandation de ne pas ouvrir la bouche dans l'eau s'ils tombent au cours de la compétition dans la baie de Guanabara, très polluée. Qu'attendre de plus d'un pays qui a laissé se produire la pire catastrophe écologique d'origine minière, à Mariana, laquelle a abouti à la mort d'un des plus importants fleuves du Brésil, le Rio Doce ?

La déprime est également économique. Le Brésil a enregistré neuf trimestres consécutifs de récession provoquant une envolée du chômage à 11,2 %. La Banque centrale estime que l’activité industrielle va plonger de 4,6 % en 2016, alors que la consommation des ménages devrait se contracter de 4 %. En se focalisant sur la réduction de l’inflation (6,9 % cette année, contre un objectif de 4,7 % à la fin 2017), le gendarme monétaire laisse entendre qu’il maintiendra sa politique de taux d’intérêts élevés – le taux directeur est aujourd’hui de 14,25 %. Impossible, dans ce contexte, d’espérer une reprise de la consommation, le crédit étant inaccessible. La charge de la dette brésilienne s’en trouve d’autant surenchérie, réduisant la capacité d’investissement de l’État, alors même que le président intérimaire s’est engagé à couper dans la dépense publique.

Après avoir été porté aux nues par les éditorialistes du monde entier, le Brésil retrouve-t-il sa « vraie place », celle de l'éternel pays de seconde catégorie, incapable de transformer l'essai ? Une république bananière condamnée à être minée par la corruption ? Le vieux stéréotype convient bien au discours d'une certaine élite, estime l'écrivain et analyste Elaine Brum : « Cela a à voir avec le retour au pouvoir de “ceux qui savent faire les choses”, qui comprennent vraiment comment fonctionne l'économie », au contraire du parti des travailleurs de l'ex-chef de file métallurgique Lula. Leur rhétorique peine toutefois à convaincre les périphéries, mais aussi les petites classes moyennes.

Les manifestations de 2013 ont souligné à quel point les Brésiliens prenaient conscience de l'échec de leur système politique bien avant leurs élites. Et si les quartiers riches voudraient encore s'installer à Miami, Londres ou Paris, l'idée de « modèle » peine de plus en plus à convaincre. Qui rêve d'une Europe en pleine implosion, maltraitant les réfugiés ? Qui est prêt à affirmer que Américains votent mieux, alors qu'ils envisagent d'élire Donald Trump ?

Ces prochaines semaines, il est probable que la capacité d'organisation surprenne les visiteurs étrangers, comme elle l'a fait durant la Coupe du monde. Ceux qui rêvaient d'un Brésil fonctionnant parfaitement en sont pour leur frais, mais ceux qui ricanent sur un pays au bord de l'effondrement reconnaîtront probablement s'être trompés. « Le plus fascinant dans ces Jeux olympiques, c'est l'impossibilité de présenter un imaginaire cohérent sur le Brésil, que ce soit à l'étranger ou à l'intérieur ; le Brésil arrive aux Jeux olympiques sans qu'on ne puisse plus dire ce qu'il est », conclut Eliane Brum.

 

Publié dans Politique

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